Géographie Minoritaire
Nouvelles
J’expose mon travail photographique de ces quatre dernières années à Genève. Géographie Minoritaire est le nom de l’exposition. C’est aussi le nom du cycle regroupant quatre séries de photographies ayant accompagnées mes principales préoccupations politiques, esthétiques et méthodologiques de ces derniers temps : Nanhui, Panorama Zéro, Rives et Faire France de tout bois. Vous pourrez ainsi retrouver une sélection de dix tirages grand format au sein de l’espace pluridisciplinaire BORABORA. L’exposition aura lieu du jeudi 03 juin au jeudi 15 juillet 2021.


Faire France de tout bois
2019 — 2020
De l'après-guerre jusqu'au début des années quatre-vingt, la France inscrit sa reconstruction sous le signe d'une modernisation économique, technique et sociale singulière. Le modèle français se construit progressivement par la planification et le service public. Tandis que l'urgence politique est au relogement de masse, les grands travaux voient le jour avec le déploiement de l'infrastructure autoroutière et ferroviaire. Progressivement, le maillage territorial, technique et administratif, assure la connexion aux campagnes et déclenche le développement national des grands plans touristiques. Près de la mer ou à la montagne, dans les campagnes ou dans les villes, dans les bassins sidérurgiques ou dans les prémices des premières zones commerciales, partout l'on parle de progrès. A ce moment là encore, les typologies urbaines et architecturales issus de l'altération politique du paysage français conférent à l'échelle locale une résonnance toute particulière dans l'horizon nationnal. Les utopies battent leur plein et la France se met en images : le pavillonnaire, la maison de campagne, le supermarché, le bistrot, l'immeuble fait de béton, la cité balnéaire, la station de ski. Et la mer aussi, que l'on voit aussi maintenant pour la première fois. Depuis le tournant néo-libéral opéré en France il y a quarante ans, les utopies se sont progressivement sédimentées jusqu'à leur oubli et leur extraction du réel. Partout dans le nouveau paysage français (devenu quasi-typologique tant les abords des villes et des campagnes tendent à l'homogénéisation) ne reste des outils déployés à l'après-guerre que des infrastructures et architectures désincarnées de toute substance politique. Faire France de tout bois c'est réaffirmer les utopies concrètes par l'archéologie des idées et du construit. C'est partir des récits propres aux géographies françaises et en extraire leur fragilité commune. Ici et là, derrière cet ordinaire qui a traversé le temps, il faut y croire, se cache la possibilité de la bifurcation radicale, d'une réappréhension politique de l'outil construit et planifié.


































Rives
2017 — 2020
Rives est un travail photographique qui a pour objet de documentation le paysage anthropisé en limite et aux frontières des mers, lacs et rivières. Les images composant la série ont été réalisées à partir de lieux géographiquement disjoints, entre la France, l’Irlande, la Suisse, le Portugal et Cuba. La série implique au moins deux degrés de lecture. Le premier ne consisterait simplement qu’à y lire des images produites virtuellement, comme produit de la déterritorialisation. Les lieux, typologies et objets n’y sont plus que les signes interchangeables d’une architecture terrestre : la Terre comme Architecture, mouvante, essentiellement globalisée, fabriquée et sans cesse transformée par l’Homme. Le deuxième est celui qui viendrait infléchir le premier dans une tentative de résistance par la conversion systématique des éléments constitutifs du paysage en typologies structurantes nouvelles, nouveaux repères topographiques d’un paysage en conflit. Là où, précisément, les vestiges d’une post-modernité aberrante côtoient déjà les espaces en marge de la représentation et de la représentativité. Tandis que la cité balnéaire se parfait dans l’imitation d’une nature retrouvée, la quête d’authenticité dans la naturalité s’associe volontiers à la marchandisation. L’un dans l’autre, dans ce grand décor globalisé, acteurs, joueurs, stars et autres teen surexposés se portent comme les figures de proue de sa représentation. Mais que reste-t-il lorsque tombent les masques, se vide la scène et que se brise, tout entière, la table du jeu ? Un paysage d’une douceur quasi-désertique, habité par des fantômes traversant toute l’image jusqu’à ses bords, et transformé peu à peu par des architectures diffractées au maximum. Que se cache-t-il au-delà de ces rochers et ces coteaux ? Derrière ces grandes haies vertes, le long du boulevard longeant la mer ? A travers les murs et les fenêtres de ces maisons et de ces abris ? Et sous le repli de ces vagues, n’entend-on pas toute la violence du monde ? Face à l’ouverture généralisée, à l’homogénéisation globale, au tout-métropole et à l’idée du progrès en effondrement, cette accumulation de cartes postales pirates questionne la répétition, l’itération et la variation de l’identité paysagère sous l’ère du numérique, et ce, dans des formes essentiellement descriptives. Par association ou confrontation, ces frontières entre terre et mer recomposent une géographie nouvelle : virtuelle mais profondément universelle, appropriable par tous.






















































Panorama Zéro
2017 — 2020
Depuis la libéralisation économique de Shanghai en 1992, son processus de métropolisation devient tel, qu’en l’espace d’une vingtaine d’années seulement, sa population passe de 8 millions d’habitants à 25 millions. Devant la croissance démographique projetée, elle atteindrait les 35 millions d’habitants en 2040. Dans l’une des plus grandes villes au monde, le maillage technique et infrastructurel semble être le principal outil pour le déploiement métropolitain. L’extension de la supersurface et l’émergence de villes satellites connectées au réseau global ne cessent d’opérer la destruction d’un territoire rural singulier, caractéristique de pratiques et valeurs réminiscentes. Dans cette ultra-compression radicale, simultanéisation des temporalités et juxtapositions spatiales définissent le territoire shanghaien, où les réalités semblent davantage se superposer plutôt que se succéder. A l’infrastructure menaçante – outil d’une urbanisation radicale – s’ajoute, depuis la prise de conscience chinoise des contraintes alimentaires pesant sur sa société, l’infrastructure structurante – outil pour le maintien d’un territoire nourricier. L’équation urbaine proposée semble s’appuyer sur deux faces d’une même pièce : maintenir et structurer les territoires nourriciers ou programmer leur disparition devant l’urbanisation et l’investissement. Entre le centre-ville de Shanghai et les campagnes au sud de la métropole, le parcours de la ligne de métro numéro 16 est parfaitement représentatif de ce paysage en pleine transformation. Plus l’on s’avance vers la périphérie, plus les traces d’une véritable manufacture du paysage se révèlent à nous. Les territoires nourriciers s’entremêlent aux nouveaux parcs urbains, les rochers au béton, l’organique au plastique, la tradition à l’industrie. Les plans sont réduits en miettes, et le paysage atomisé. Les matières, motifs et textures se répètent et fragmentent le paysage en petits morceaux, lignes et cavités. Chaque feuille, chaque agrégat, chaque fruit en décomposition, chaque bâche plastique ; chaque élément qui était constitutif du paysage s’autonomise, conférant à la modernité se construisant sous nos yeux l’image de nature morte, en pourrissement. Le long d’une ligne de béton et d’acier, c’est toute la fabrique de la pierre, du bitumineux, du sable et du ciment qui se dessine. Les ruines à rebours s’érigent dans ce paysage pétrifié à la gloire de la révolution des empires. On a l’étrange sensation que se rejoue ici les récits de Smithson à propos de l’usine de béton à Passaic, mais cette fois-ci, dans une traversée du désert sous le ciel vitrifié de la Chine.

















Nanhui
2017
La matrice hydraulique shanghaienne qui a progressivement structuré le territoire en un canevas très fin, n’a cessé d’irriguer un paysage productif, l’un des plus fertiles au monde. Les campagnes au sud de la métropole, dans le district de Nanhui, composent à cet égard un paysage singulier, dessiné par les canaux – remplacés par le tracé de l’asphalte au centre-ville –, l’horizontalité des champs et l’organicité des vergers. Les nouveaux villages socialistes des années 2000 se parsèment dans cette vaste plaine traversée par la superstructure. Entre le sud de Shanghai et la ville nouvelle de Huinan, quelque part à la sortie d’un métro débouchant dans les vergers, le conflit entre ruralité et modernité se dessine déjà dans les immeubles baroques apparaissant en lisière sous le ciel blanchâtre si caractéristique de l’imaginaire. Ensuite, la structure est partout. Selon l’axe est-ouest, avec la rivière Dazhi, large canal de dérivation empruntée pour le transport de marchandises industrielles et traversant l’intégralité du territoire jusqu’à la mer. Et selon l’axe nord-sud, avec la ligne seize du métro, l’autoroute périphérique, ainsi que la future ligne de TGV projetée par la ville. Avec l’arrivée de l’infrastructure métropolitaine, la station de métro existante se verra couplée d’une gare voyageur, planifiée par le masterplan de Shanghai 2035. Sous le découpage opéré par le maillage infrastructurel, viennent cependant se confronter des tissus très différenciés. A l’est, la trame agricole ancienne s’est vue investie par le développement d’un tissu habité hyper-diffus, tandis qu’à l’ouest, celle-ci à été progressivement effacée par le développement de la ville nouvelle. L’entre-deux est encore peu investi par l’urbain, mais subit des pressions de toutes parts. Connecté au réseau, son statut est en attente et son devenir, incertain, tant les menaces d’investissements et de planifications urbaines pèsent avec l’arrivée de la gare TGV. S’esquisse peut-être encore ici, en limite même du processus de métropolisation, cœur du théorème idéologique en question, un territoire de l’altérité à partir duquel il faudra partir. Parce que malgré la planification, et à la manière de la dystopie tarkovskienne, les environs de la Zone témoignent encore de l’inadvenu. Il n’est pas trop tard. Et reste encore les gardiens, vagabonds et autres stalkers comme forme de persistance et réappropriation. Ils constituent à eux seuls le terreau d’un héritage local, d’un patrimoine fait de valeurs, de pratiques et de modes de vie que les autoroutes, les échangeurs, les lignes de métro ou de train ne sauraient cacher.






























